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Ce que l'on trouve à Austerlitz : des mémoires superposées

À la merci des paysages – l’écriture empathique de Radek Fridrich

 

« Dans ce poème [« Rossendorfer Hahn »] apparaît le motif du cimetière abandonné. […] Dans le poème suivant (Fridrich 2002 : 8), la copie des épitaphes abîmées dans les cimetières plus ou moins abandonnés […] est présentée comme unique témoin (le mot sert de titre) possible des vies antérieures.

[…] D’une part, le personnage du randonneur étiquette le paysage – enseignes, panneaux indicateurs : il fait peut-être partie de ces rabatteurs du dernier distique, qui ajoutent à leur « tableau de chasse », alors que les traces sont froides, de nouvelles épigrammes funèbres. Tous les recueils de Fridrich examinent ce processus empathique par lequel l’observateur se découvre impliqué dans le paysage. Le poème souligne ainsi avec une sorte de sarcasme la facticité des défis mémoriels : le cimetière, conçu comme lieu de la mémoire éternelle, n’existe plus que par des conventions funéraires (la tombe, l’épitaphe, l’ornement) dont la dégradation se transforme en signes d’un oubli organisé. […]

Car le véritable narrateur du poème, c’est bien le paysage, ou l’un de ses attributs porteurs de mémoire comme ici le cimetière. […]

Comme en état d’hypnose, le poète chante, et ce chant reflète l’effet mélodique d’une malédiction pesant sur le paysage hanté qu’il arpente. Il chante avec des mots qui ne sont pas ceux de sa langue, au risque d’un certain hermétisme […], bizarrement redoublé par l’usage ostentatoire des patronymes et des toponymes allemands, préférés par l’auteur à leur équivalent tchèque maintenant seul en usage.

[…] Loin d’anthropomorphiser le paysage en lui supposant une mémoire humaine, le poète ouvre la conscience humaine à la structure du paysage. Passif dans le lieu qui l’agit, l’homme n’a qu’à observer. Ainsi se rejoue un dispositif préromantique où la contemplation des ruines nourrit une réflexion rêveuse : le vestige signale la débâcle de l’Histoire mais il demeure, signe amoindri d’un passé qui ne passe pas, et captive le visiteur. »

 

 

Sur les 77 maisons que compte le quartier juif, situé au Sud du château et autour de la synagogue, 36 demeurent, les autres ayant été détruites.

 

La synagogue est actuellement fermée mais peut être ouverte sur demande au patriarcat de Brno.

 

Le cimetière, fermé, peut également être ouvert sur demande.

 

Une exposition permanente a été installée dans l'ancienne école à proximité de la synagogue en 2005.  C'est une employée de la mairie qui est venue nous ouvrir pour que nous puissions la voir. Cette exposition a été envisagée par M. Jaromír Seifert (Slavkov) et réalisée avec MUDr. Eric Strach (Liverpool) et M. Neil Pike (GB). Depuis plusieurs années, ce dernier, touché par le sort de la communauté, se rend régulièrement à Slavkov avec un groupe d'Anglais.

4. Des mémoires non concurrentes et superposées

Xavier Galmiche, « Quand les lieux se souviennent. Poésie des ruines et géographie empathique dans la littérature tchécophone d'après 1989 (R. Fridrich, M. Fibiger) », in Mémoire(s) des lieux dans la prose centre-européenne après 1989,

Dir. Malgorzata Smorag-Goldberg et Marek Tomaszewski, Lausanne, Noir sur Blanc, 2013, p. 229-230

 

Phénoménologie de la ville « édentée »

 

« L’observateur contemporain peut juger que les lieux et paysages (villages et villes, régions et pays) d’Europe centrale, brutalisés par l’Histoire, ne portent que peu de traces de leur passé multiculturel. Il peut penser que les signes apparents des communautés anciennes aujourd’hui disparues (déplacées, déportées, décimées ou exterminées) sont devenus rares, à l’exception de plaques et autres signes commémoratifs dont la formulation, l’emplacement et la simple existence sont le fait de circonstances politiques aléatoires, et demeurent à ce titre toujours révocables.

Ainsi lui apparaît le paysage des « confins », compris au sens géographique de zone frontalière, mais plus généralement philosophique d’espace marqué par l’histoire des coexistences. La mémoire des lieux y dépend surtout de son regard à lui – survivant des catastrophes, héritier des victimes, ou simple visiteur (historien, curieux, touriste) : dans un espace quasi exempt de vestiges, elle est purement sujette à cette subjectivité qui la fait ressurgir mais peut aussi, dès demain, le laisser replonger dans l’oubli. Toutefois, la persistance d’un monde objectif – plus ou moins important selon les régions et le taux de destruction qui les a affectées – hérité de ces communautés disparues et attestant encore de la vie de leurs membres, constitue l’autre face de cette réalité. La structure des villages, des bourgades et villes – le parc immobilier et industriel ; les traces de la géographie humaine dans le paysage et même la trace de la disparition, du processus menant du paysage habité au paysage déserté : tout cela subsiste quand même, et se donne comme un objet de « réflexion », dans les deux sens du terme – le regard se pose à la surface, et incite l’esprit à ruminer sur les chocs du passé et ce qui lui a survécu malgré tout. »

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Xavier Galmiche, « Quand les lieux se souviennent. Poésie des ruines et géographie empathique dans la littérature tchécophone d'après 1989 (R. Fridrich, M. Fibiger) », in Mémoire(s) des lieux dans la prose centre-européenne après 1989, p. 236-241

 

 

 

Photographies : cimetière juif de Slavkov u Brna

Galmiche_cimetières

W. G. Sebald, Les Anneaux de Saturne, chapitre V, p. 151

 

Photograhies :

Mont Pratzen  (au centre,  reliquaire (2) en forme de cercueil contenant des os de soldats retrouvés après la construction de la crypte (3), dans le sol de laquelle étaient enterrés les ossements.)

Panorama de Waterloo (2/2)

 

« C’est donc cela, se dit-on en marchant lentement en rond, l’art de la représentation de l’histoire. Il repose sur une perspective faussée. Nous, les survivants, nous voyons les choses de haut, toutes en même temps, et cependant, nous ne savons pas comment c’était. Alentour s’étend le champ désolé où, un beau jour, cinquante mille soldats et dix mille chevaux ont péri en quelques heures. Dans la nuit, après la bataille, on devait entendre ici un cœur polyphonique de râles et de gémissements. Aujourd’hui il ne reste qu’une surface de terre brune. Qu’ont-ils bien pu faire à l’époque de cette multitude de cadavres et d’ossements ? Sont-ils enfouis sous la coupole du mémorial ? Nous tenons-nous ici sur une montagne de morts ? Est-ce là notre poste d’observation ? Est-ce de pareille place que l’on a le point de vue historique tant vanté ? »

W. G. Sebald, Austerlitz, p. 338-340

 

Entassement d'Histoires sur des couches successives

 

Austerlitz monte à un étage élevé d’une des tours de la BnF.

De là, il voit les Boulevards Davout, Soult, Poniatowski, Masséna, Kellermann, qui forment des cercles concentriques.

« Parfois, d’ici, dit Lemoine, dit Austerlitz, il avait l’impression de sentir sur ses tempes et son front passer le flot du temps. […] La ville tout en bas s’est constituée par accumulation de strates successives. »

Sur le « Terre-plein d’Austerlitz-Tolbiac », furent entassés à partir de 1942 des biens spoliés aux Juifs emmenés à Drancy et ailleurs. Ce lieu a pu être appelé pour cela « Les Galeries d’Austerlitz ».

Et tout ça… « gît sous les fondations de la Très Grande Bibliothèque ».

a/ La mémoire de la bataille, une mémoire multidirectionnelle

Traumatische Orte sind Palimpseste

 

« Auch an ihnen steht die Zeit nicht still. Obwohl  eine bestimmte Geschichte hier kulminierte und zu einem katastrophischen Abschluss kam, ist auch hier die Geschichte weitergegangen und stellt sich als eine räumlich „geschichtete“ dar. […]

Damit kommt immer mehr von ihrer Vielstimmigkeit zum Vorschein, einschließlich der unterschiedlichen Perspektiven der Erinnerungen der Überlebenden und ihrer polemischen Unvereinbarkeit. »

Le lieu "Austerlitz" correspond en fait, dans la mémoire des Français, au champ de bataille. Dans ce périmètre, d'une superficie de 120 ha et comprenant vingt-deux communes, coexistent d'autres mémoires que celle de la bataille : chaque village a son histoire, plus ou moins ancienne, ses traditions, ses morts. Nous avons rencontré des calvaires de piété individuelle ou collective, des monuments et plaques en hommage aux morts de 1805 mais aussi des deux guerres mondiales, ainsi qu'un musée local - que nous appellerions "écomusée" en France. Nous ne tenterons pas ici d'établir une liste exhaustive de ces mémoires. Il nous a semblé que la ville de Slavkov même - "Austerlitz" à l'époque de l'empire austro-hongrois -, avait une particularité tout à fait intéressante à mettre en valeur, qui fait écho à un thème central de l'étude de la mémoire collective en Europe centrale et orientale au XXe siècle : Slavkov a un passé multiculturel, marqué par la présence d'une communauté juive qui a été entièrement décimée entre 1939 et 1945. (Lorsque cette dernière éclata, la communauté juive, qui avait diminué depuis la moitié du XIXe siècle, représentait une quarantaine de personnes.)

L'article de Xavier Galmiche intitulé "Quand les lieux se souviennent" (cf. ci-dessous) concerne essentiellement la région des Sudettes, dans le nord de la République tchèque, qui fut sujette à des déplacements forcés de population en raison de la mobilité des frontières aux "confins" des empires. Il constitue néanmoins une voie privilégiée pour pénétrer au cœur de notre problématique.

b/ Les autres mémoires, et en particulier celle de la communauté juive de Slavkov/Austerlitz

Mémoire multidirectionnelle

 

Multidirectional memory : « the dynamic transfers that take place between diverse places and times during the act of remembrance.  »

« It is often difficult to tell whether a given act of memory is more likely to produce competition or mutual understanding – sometimes both seem to happen simultaneously. A model of multidirectional memory allows for the perception of the power differentials that tend to cluster around memory competition, but it also locates that competition within a larger spiral of memory discourse in which even hostile invocations of memory can provide vehicles for further, countervailing commemorative acts.  »

Multidirectional memory « acknowledges how remembrance both cuts across and binds together diverse spatial, temporal, and cultural sites. »

Rothberg_Multidirectional Memory

La mémoire multidirectionnelle est une notion conceptualisée par Michael Rothberg dans son ouvrage éponyme. Elle se fonde sur la mémoire collective, telle que définie par Maurice Halbwacks : l’individu qui se souvient appartient à un cadre (social…) collectif commun ainsi que sur la distinction opérée par le philosophe Avishai Margalit entre mémoire commune et mémoire partagée :

« A common memory […] is an aggregate notion. It aggregates the memories of all those people who remember a certain episode which each of them experienced individually. […] A shared memory, on the other hand, is not a simple aggregate of individual memories. It requires communication. A shared memory integrates and calibrates the different perspectives of those who remember the episode […] into one version. […] Shared memory is built on a division of mnemonic labor. »

Avishai Margalit, The Ethics of Memory, Cambridge, Harvard University Press, 2002, p. 51-52, cité dans Michael Rothberg, Multidirectional Memory, Introduction, p. 15

Mais selon Rothberg, Halbwachs et Margalit surestiment le degré auquel la mémoire collective convergerait vers une seule version. Toute remémoration, ou remembrance, est marquée par des déplacements et contingences inévitables, et la mémoire collective est constituée de différentes couches, d’une part parce qu’elle est hautement médiatisée et d’autre part parce que les individus et groupes jouent un rôle actif dans sa « réarticulation ».

Traumatische Orte sind überdeterminiert und multiperspektivisch

 

« Der Ort ist all das, was man an ihm sucht, was man von ihm weiß, was man mit ihm verbindet. So gegenständlich konkret er ist, so vielfältig präsentiert er sich in den unterschiedlichen Perspektivierungen. […]

Als historische Schauplätze mit ihren kärglichen materiellen Überresten sind sie bei aller Symbolischen Ausdeutung und Ausbeutung immer noch etwas anderes als ein Symbol, nämlich sie selbst. Während kulturelle Zeichensetzungen aufgebaut und wieder abgetragen werden, verpflichtet die Persistenz von Orten auf ein Langzeitgedächtnis, das über die Erinnerungsrahmen der Überlebender, der Nation und Europa hinausgeht. »

Un même lieu est souvent l'objet de différentes mémoires. Ces différentes mémoires peuvent être visibles à travers travers les actions des habitants, qui entretiennents les maisons, les cimetières. Elles peuvent également être rendues visibles par des monuments commémoratifs, notamment les monuments aux morts des différentes guerres, aussi présents dans la campagne morave que dans les villages français, ainsi que des initiatives à vocation pédagogiques telles que les musées et expositions temporaires.

c/ Un lieu de mémoires superposées

 

- 1899 : fondation d’un Comité pour la construction d’un monument aux morts à l'initiative d'Alois Slovák > 80 personnes, dont plusieurs enseignants, prêtres, professeurs, mais aussi de paysans des seize communes des alentours de l’ancien champ de bataille.

1901 : demande de soutien financier « aux gouvernements de l’Autriche-Hongrie, de la France et de la Russie, en leur demandant un soutien financier pour la construction du monument en vue de célébrer le premier centenaire, en 1905 ».

- « La Russie fut le premier pays à réagir : entre 1901 et 1905 déjà, le ministre russe de la Guerre envoya 13.158 roubles (50.000 couronnes) ».

- « Le gouvernement autrichien fut plus prudent : en 1908, il offrit 800 couronnes (plus tard, la somme finale fut de 12.000 couronnes environ). »

- « S’y ajoutèrent différentes corporations et institutions, dons individuels, initiatives privées (32.000 couronnes). »

- « Le gouvernement français ne réagit qu’assez tard, durant les travaux de construction même, avec une somme de 12.222 francs (11.000 couronnes environ). Le Conseil municipal de la Ville de Paris envoya ensuite 1.000 francs (900 couronnes). »

Le financement du monument de la paix :

Daniela Tinkova, Faculté de lettres, Université Charles de Prague

« Austerlitz champ de bataille : deux siècles de mémoire vivante », Conclusion, in Lieux de mémoire en Europe centrale, Dir. Antoine Marès, Paris, Institut d’études slaves, 2009, p. 52

Comme l'écrit Daniela Tinkova, « ces disproportions méritent peut-être réflexion. On voit bien l’embarras du gouvernement autrichien face à un monument édifié sur le lieu d’une défaite cruciale. Mais on constate en embarras semblable de la part des Français ; la Troisième République ne voulait pas trop cultiver le culte napoléonien. En revanche, les Russes – bien que vaincus – n’ont pas hésité à envoyer une somme assez importante [...][alors qu'ils] avaient subi les pertes les plus importantes. »

Cette attitude de la part de la France n'est pas sans rappeler la polémique née autour des commémorations du bicentenaire de la bataille en 2005. La Ministre de la Défense, Michelle Alliot-Marie, s'était rendue sur place, invitée par la Fondation Charles de Gaulle à un gala au château d'Austerlitz le 2 décembre au soir.

 

Sur cette question, voir :

 

> Allocution de la ministre sur le Mont Pratzen le 2 décembre 2005

> « Plaidoyer pour les "indigènes" d'Austerlitz » par Pierre Nora, Le Monde, 12 décembre 2005

> Sénat, Question d'actualité au gouvernement de M. Nicolas Alfonsi, 16 décembre 2005

Daniela Tinkova, « Austerlitz champ de bataille : deux siècles de mémoire vivante », Conclusion, in Lieux de mémoire en Europe centrale, p. 56-57.

 

Mémoire et contexte politique

 

« Le champ de bataille d’Austerlitz est ici présenté en tant que lieu où une tradition subsiste depuis deux siècles et où la mémoire n’a pas été interrompue. Après la disparition des générations qui avaient fait l’expérience immédiate de la bataille, la mémoire et la tradition furent prolongées intentionnellement ; néanmoins, ses formes changèrent en fonction du contexte politique et culturel. À l’époque de la renaissance nationale culminante, dans les toutes dernières années de l’existence de la monarchie des Habsbourg – alors qu’une célébration ouverte de Napoléon était impensable –, les éléments slavophiles et les tendances pacifistes prédominèrent.

En revanche, l’orientation francophile de la Première République tchécoslovaque n’hésita pas à réveiller le souvenir d’Austerlitz – symbole même de la défaite de l’Autriche désormais détestée, ainsi que de la puissance militaire de la France. Le culte d’Austerlitz fut intentionnellement cultivé en tant que célébration de l’amitié et de l’alliance militaire franco-tchécoslovaques ; en même temps, ce culte devait contribuer à cultiver le patriotisme, l’héroïsme et l’esprit guerrier de la jeune armée tchécoslovaque et, en général, des citoyens de la nouvelle république.

L’époque suivante, de la Seconde Guerre mondiale à la chute du régime communiste, étouffa les activités internationales et nationales ou régionales, en dehors des efforts en vue de réanimer à la fois le culte russophile, le culte de Koutouzov, et en même temps de relier plus étroitement la tradition napoléonienne à la tradition de la Révolution française.

À l’époque contemporaine, la réanimation actuelle de la tradition d’Austerlitz vise un certain dépassement de l’interprétation nationale ou « inter-nationale » ; d’un côté, elle se tient dans l’esprit d’un lieu de mémoire transnational, européenne ; de l’autre côté, cette tradition rénovée représente un appel à la conscience régionale qui vise à la réanimation de la vie culturelle de la région d’Austerlitz elle-même qui prend souvent la forme d’une entreprise purement commerciale ou touristique. »

La communauté juive de Slavkov :

Quelques exemples d'accumulation en un même lieu de calvaires, monuments et plaques commémoratives aux morts de différentes époques :

Telnice

Tvarožná

Jiříkovice

b_Autres mémoires
c_Mémoires superposées

Cette accumulation s'est produite au fil du temps et des conflits. Elle ne s'est pas faite en un jour. D'où l'image de strates successives, qui viennent s'ajouter les unes au-dessus des autres. Cette notion de superposition a été explicitée de façon très imagée par Sebald à la fois dans Les Anneaux de Saturne concernant Waterloo et dans Austerlitz concernant la déportation des juifs de Paris pendant la Seconde guerre mondiale... La boucle est bouclée!

a_Mémoire_bataille

La communauté juive de Slavkov victime de la Shoah

 

Les troupes allemandes envahirent la Moravie en mars 1939. Le premier geste des nazis fut de priver les juifs de touts droits civiques et de propriété. En octobre 1941, les juifs de la région furent regroupés et parqués dans le quartier juif de Slavkov transformé en ghetto. Le 4 avril 1942, ils furent transférés à Brno puis Terezín (Terezinstadt), d'où la plupart d'entre eux furent envoyés dans des camps d'extermination à l'est.

D'après les informations dont nous disposons, certains juifs de Slavkov purent s'enfuir entre 1938 et début 1939 (une famille au Canada, une personne en Angleterre puis New York, une famille en Argentine, une personne en Israël. Une enfant partit à Vienne avec sa famille en 1913 ; elle quitta Vienne pour Londres en 1938 ; ses parents, qui rentrèrent en Bohême-Moravie, furent déportés à Terezín où ils moururent ; elle perdit deux sœurs et cinq de ses six frères dans la Shoah.)

La quasi totalité des juifs de Slavkov, soit 80 personnes, furent déportés entre 1941 et 1942, vers Sobibor (26), Bełżec puis Sobibor (13), Treblinka (8), Auschwitz (7), Łódź (5), Terezín (4), Lublin (2), Majdanek (2), Trawniki (2), Bełżec puis Sobibor et Treblika (1), Birkenau (1) et trois dont on a perdu la trace. 7 personnes survécurent. Entre 1943 et 1945, 7 personnes furent déportées mais 5 en réchappèrent et 2 ont disparu. Enfin, 4 personnes échappèrent à la déportation (une femme et trois enfants) et deux jeunes purent s'enfuir en Palestine. Une seule survivante était revenu vivre à Slavkov et était en vie au moment où a été montée l'exposition, en 2005.

Une plaque commémorative a été posée à l'entrée du cimetière juif en juin 1994 en hommage aux habitants de Slavkov victimes de la Shoah.

La communauté juive de Slavkov/Austerlitz est l'une des plus anciennes de Moravie. Sa présence est attestée dans des écrits de rabbins dès 1294. Dans les documents juifs, Slavkov est nommée "Ir Laban", "La cité blanche". En 1450, le quartier juif comptait 65 maisons, la synagogue et un hôpital. Un cimetière se trouvait à l'extérieur des murs d'enceinte, au sud de la ville. En 1454, le roi Ladislas de Habsbourg (roi de Bohême et de Hongrie) autorisa l'expulsion des juifs des villes royales de Moravie. Les déportés trouvèrent refuge dans des petites villes comme Slavkov ou sur des propriétés de nobles. Dans les documents juifs, Slavkov est nommée "Ir Laban", "La cité blanche". Cent ans plus tard, les juifs sont propriétaires de 60 maisons à l'extérieur du quartier juif, malgré l'interdiction du maire. Ils vivèrent dans un premier temps du commerce du sel et des épices, puis de la fabrication et de la vente d'eau de vie et de vin.

Les interdictions appliquées aux juifs et diverses taxes et redevances furent nombreuses au cours de l'histoire, mais n'empêchèrent pas la communauté de se développer. Ce sont d'autres catastrophes qui leur assénèrent des coups bien plus durs.

Lorsqu'éclata la Guerre de trente ans (1618-1648), les juifs possédaient 65 maisons sur un total de 348, mais la guerre marqua un coup d'arrêt à une relative liberté de culte et à la prospérité économique.

L'importance de la communauté juive locale est confirmée par le fait que les deux synodes des juifs de Moravie de 1662 et 1724 se soient tenus à Slavkov.

En 1744, un nouvel emplacement fut accordé au cimetière juif à flan de colline au nord de la ville, son emplacement actuel. En 1774, le propriétaire du domaine sur lequel se trouvait l'ancien cimetière était le prince Wanceslas Antonin, comte de Kounice et chancelier de l'impératrice Marie-Thérèse d'Autriche. Or à la fin de sa vie, celui-ci était terrifié par l'idée de la mort. Le cimetière étant visible du château, il l'aurait fait raser. Une partie des pierres tombales fut transportée dans le nouveau cimetière.

Depuis la fin du XVIIIe siècle jusqu'à l'avènement de la République tchécoslovaque en 1918, l'allemand demeura la langue de l'administration de la communauté ainsi que celle de l'enseignement à l'école juive, bien que seulement 8 familles soient juives-allemandes.

En 1900, 170 juifs (et 383 chrétiens) vivaient dans le quartier juif, plutôt pauvre, et 108 plus aisés à l'extérieur. En 1905, le quartier fut secoué par des émeutes anti-juifs. Des juifs de Slavkov prirent part à la Première guerre mondiale et cinq d'entre eux y laissèrent la vie. En 1930, plus que 121 personnes se déclaraient comme étant juives. Les professions exercées étaient essentiellement des épiciers et drapiers.

Le sort de la communauté juive de Slavkov fut scellé au cours de la Seconde guerre mondiale, bien que quelques personnes survécurent à la Shoah. (Sur ce sujet, voir l'encadré ci-dessous.)

 

Source : Musée juif de Slavkov, "History of the Jewish community at Slavkov (Austerlitz)", 2014

Communauté juive_Slavkov
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