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Ce que l’on trouve à Austerlitz : des mémoires superposées

1. les éléments matériels (géographiques et architecturaux)

a. les édifices et lieux témoins des événements cruciaux de la bataille

b. les traces visibles que la bataille avait laissées

c. les petits objets retrouvés (et que l’on retrouve jusqu’à nos jours) sur le champ de bataille ou dans les fosses communes

d. Monuments, tombes, croix, calvaires, etc. érigés immédiatement ou peu après la bataille, puis les autres monuments aux soldats morts érigés plus tard, à l’occasion de différents anniversaires et actes commémoratifs

2. Les éléments iconographiques

3. Les éléments et traces linguistiques

a. les anthroponymes : noms de famille français dans les région, mais il y en avait déjà avant

b. les toponymes : colline de Santon…

4. Les souvenirs transmis par la tradition orale

a. chansons traditionnelles

b. les légendes et récits

http://www.austerlitz.org/

Hudba: Avven (SVN)
Režie: Pája Junek, http://www.junekfilm.cz/
© JUNEK FILM 2012

Daniela Tinkova, « Austerlitz champ de bataille : deux siècles de mémoire vivante », in Lieux de mémoire en Europe centrale, Dir. Antoine Marès, Paris, Institut d’études slaves, collection historique n°44, 07/2009, p. 49-58

 

Austerlitz champ de bataille

 

Le champ de bataille se situe sur un plateau de la Moravie du Sud, entre Brno et la ville d’Austerlitz, sur une étendue d’environ 150 ha.

La Moravie évoque pour les soldats français « mort à vie ».

« Pour la région, cette bataille, terriblement sanglante, a représenté une expérience difficile et douloureuse. »

30.000 morts, une double occupation française et russe très dure (épidémies, villages pillés, incendies par les soldats, champs de blés dévastés).

« La bataille marqua  et même changea le paysage morave ; elle grava sa signature dans les mémoires des habitants et de leurs descendants, dans leur structure démographique et dans le terrain même ; elle avait profondément imprégné la conscience de la population de la région et le souvenir en resta toujours très fort. Pour les premières générations, le champ de bataille fut rappelé par toute une série de monuments et de traces souvent encore visibles. Il n’est donc pas étonnant que ce lieu soit devenu un « lieu de mémoire » d’une manière plus ou moins spontanée. Ainsi, le champ de bataille d’Austerlitz se voit, depuis plus de deux cents ans, sans cesse « reconstruit » en tant que terrain délimité toujours à l’aide de monuments, souvenirs et même de légendes transmises oralement, à travers une tradition toujours ranimée. »

Tinkova_champ de bataille

W. G. Sebald, Les Anneaux de Saturne, chapitre V, p. 149-151

 

 

 

Photographies :

ci-dessus :"Exposition "La bataille des trois empereurs. Austerlitz/Slavkov 1805 - Après la bataille", (c) Nakladatelstvi 2005.  (Carte postale achetée au musée de Pratzen.)

ci-dessous : Mont Pratzen, extérieur du musée et mémorial

Panorama de Waterloo (1/2)

 

« [L]e mémorial dit historique érigé sur le champ de bataille de Waterloo. […]

Je me vois encore descendre à l’arrêt du bus et marcher le long d’un champ inculte puis d’un groupe de maison lépreuses mais néanmoins hautes, en direction de la localité exclusivement constituée de boutiques de souvenirs et de cafés-restaurants à bon marché ».

Veille de Noël. Pas de visiteurs. Seulement « une petite troupe affublée d’uniformes napoléoniens défilait dans les ruelles […] comme animés de quelque mouvement perpétuel.

J’achetai finalement un billet d’entrée pour le panorama installé sous une vaste coupole dont le centre est occupé par une plateforme d’où l’on a une vue circulaire sur les combats en cours – la bataille étant, comme l’on sait, le sujet de prédilection des peintres de panorama. On se trouve pour ainsi dire au centre imaginaire des événements. Dans une sorte de paysage de théâtre, sous la balustrade de bois, des chevaux en grandeur naturelle gisent parmi des souches d’arbres et des branchages, dans le sable maculé de sang ; un peu plus loin, des soldats abattus, hussards et chevau-légers, les yeux écarquillés par la souffrance ou déjà éteints, figures de cires et accessoires, armes, cuirasses, uniformes hauts en couleur, sans doute bourrés de crin, de laine et autres matériaux du même acabit, le tout dégageant une impression d’authenticité. Au-delà de la scène d’horreur recouverte par la poussière froide du temps écoulé, le regard glisse le long de l’horizon sur l’immense peinture circulaire que le peintre français Louis Dumontier a réalisée en 1912 […]. C’est donc cela, se dit-on en marchant lentement en rond, l’art de la représentation de l’histoire. »

Traumatische Orte sind authentisch und inszeniert

 

« Sie existieren in einem Zwischenraum zwischen Authentizität und Inszenierung, zwischen Retention und Rekonstruktion. »

Les traces de la bataille - typologie de Daniela Tinkova :

(ibid.)

3. La mise en scène d'un lieu historique

Les trois principales formes de la (re)présentation historique :

raconter, exposer, mettre en scène

 

- La narration > causes, arguments, imagination, fiction. Elle passe par l’écrit. Ex : roman historique, publications scientifiques

 

- L’exposition > mise en place dans une pièce. Elle passe par des textes, images, objets… Ex : musée, installation

 

- La mise en scène (Elle est liée à un lieu.) :

- Via des médias : images animées, qui « transportent » l’action > films, télévision, vidéos… Ex : documentaire, film historique

- Locale

> Montrer et agir sur un lieu historique, revivre l’histoire grâce à l’imagination et la poursuivre de façon performative

> Lieux historiques, restes et reliques, personnes vivantes

> Lieux de commémoration, théâtre historique, tourisme patrimonial, reconstitutions "vivantes" grandeur nature, événements, spectacles, festivals historiques

Le terme de "mise en scène" ("Inszenierung" en allemand), est employé par Aleida Assmann pour désigner une forme de représentation historique qui reste attachée et étroitement liée au lieu où se sont déroulés les événements qui en ont fait un lieu historique. Il n'est donc pas à comprendre dans un sens restreint et péjoratif mais dans un sens large qui n'exclue pas l'authenticité de ce qui est montré, comme dans le cas d'un musée par exemple.

Si ces trois formes existent dans le cas d'Austerlitz, nous développerons ici principalement la mise en scène locale, qui mêle en partie les deux autres, les trois ne s'excluant pas les unes les autres.

Le lieu historique : le champ de bataille lui-même
Le musée-mémorial du Mont Pratzen
(c) Nakladatelstvi 2005
Les reconstitutions grandeur nature (Living history)

Une tradition napoléonienne est présente dans la région. Il y existe un certain nombre d'associations dont les activitées sont concentrées autour de l'histoire de la bataille et de ses commémorations, et dont les plus visibles sont bien sûr les associations organisant des reconstitutions. Chaque année plusieurs événements, conférences, concerts dont le sujet est inspiré par cette histoire, ont lieu dans les communes du champ de bataille.

 

(Source : Jakub Samek, vice-président du "Projet Austerlitz" et président de la Société napoléonienne d'Europe centale (C.E.N.S.) qui regroupe les associations de reconstitution de la Rép. tchèque, Pologne et Slovaquie, 02.04.2014)

 

Des manœuvres et reconstitutions sont organisées chaque année depuis 1998 par l'association "Projet Austerlitz", sur le champ de bataille même, comme sur la vidéo ci-dessous, ainsi que dans des parcs de châteaux aux alentours, ayant un lien plus ou moins direct avec la bataille, comme les châteaux de Slavkov ou de Valtice.

Pour plus d'informations, de crédits photographiques et vidéo, nous vous invitons à consulter leur site internet, austerlitz.org.

Tiré de Aleida Assmann, "Geschichts-inszenierungen", Geschichte im Gedächtnis, p. 175

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Photographies : cartes postales offertes par la mairie de Slavkov u Brna

Mises en scènes de l'histoire

 

Le 28 octobre 2006 eut lieu une reconstitution de l'épisode historique Iéna-Auerstedt à Berlin. Napoléon, avec deux cents soldats de son armée, atteignit la Porte de Brandembourg puis la Pariser Platz, où lui sont remises les clefs de la ville. C'est la première mise en scène qui eut lieu en collaboration avec le Stadtmuseum et l'association "Historiale". Dans ce spectacle, Napoléon est planté par une acteur américain de trente-sept ans, Mark Schneider, qui l'avait déjà incarné depuis quelques années dans des festivals et à la télévision. En Europe, il y eut des événements similaires en 2005 à Waterloo, Austerlitz, Mormant, Hollabrunn et Iéna. [...]

 

L'occupation de Berlin n'est plus un traumatisme pour les Allemands. On a tourné la page et est capable de s'identifier à un Napoléon américain. Ce traumatisme allemand s'est transformé en un festival européen, auquel peuvent se mêler également des Américains et Canadiens. La représentation des Première et Seconde guerres mondiales n'est pas possible de la même façon. On ne pourrait pas célébrer ainsi l'arrivée de Hitler par exemple. Chaque histoire ne se prête donc pas à la représentation.

L'exposition au château de Slavkov
a/ Les traces et leur mise en valeur historique

Le lieu du champ de bataille recèle en soi une "magie antéique", ce n'est pas un lieu ordinaire puisque c'est désormais un lieu "historique", qui contribue pleinement à préserver la mémoire des événements qui s'y sont déroulés. Au terrain lui-même, qui rejette encore à la surface quelques objets datant de la bataille, sont venus s'ajouter au fil des ans et des commémorations des monuments que l'on vient également visiter pour les plus importants, comme le mémorial du Mont Pratzen ou le monument de la butte de Zuran. Cet ensemble forme une sorte de territoire mémoriel à part entière qu'il s'agit de préserver. Le rôle des autorités locales et nationales a donc ici un rôle à jouer, et cet espace est protégé par un arrêté limitant les constructions et différents projets.

 

L'espace du champ de bataille a été proclamé zone protégée par le décret du Ministère de la culture n° 475/1992 du 10 septembre 1992. Cet espace est défini par les limites du champ de bataille historique, c'est-à-dire qu'il couvre les lieux des actions des trois armées du 2 décembre 1805. Sa protection consiste en premier lieu en la conservation de l'ambiance historique du site (le devéloppement des communes doit la respecter et tout projet doit être précédé par une recherche historique). La "zone de mémoire" est le second degré de protection après la "réserve de mémoire". Actuellement il existe 19 zones de mémoires de campagne en République tchèque.

 

(Source : Jakub Samek, 02.04.2014)

 

Toutefois, un territoire habité évolue en permanence et la préservation telle quelle d'une telle suface est rendue difficile par la pression du développement des activités humaines. Les autorités sont ainsi prises en tenaille entre la préservation du lieu d'une mémoire locale, nationale et européenne bien vivante et la volonté de développer économiquement la région. Toutefois, ces deux exigences ne sont pas entièrement antagonistes, la préservation du lieu permettant de favoriser un tourisme mémoriel dont les retombées économiques ne sont pas négligeables.

b/ Une mise en valeur au service du développement local

Aleida Assmann, Geschichte im Gedächtnis, p. 178, 179

 

(1) Dieter Langewiesche, „Die Geschichtschreibung und ihr Publikum. Zum Verhältnis von Geschichtswissenschaft und Geschichtsmarkt“, in Dieter Hein, Klaus Hildebrand, Andreas Schulz dir., Historie und Leben. Der Historiker als Wissenschaftler und Zeitgenosse, Munich, 2006, p. 311-326.

L'histoire comme facteur économique

 

« Geschichte [ist] zu einem wichtigen Wirtschaftsfaktor geworden […]. Kultur und insbesondere Geschichte bilden in der Wissen-, Freizeit- und Erlebnis-gesellschaft einen Teil des Marktes. Wir können mit Dieter Langewiesche auch von einem „Geschichtsmarkt“ sprechen (1). Die Politiker investieren in Pracht und Prestige, Städte und Regionen inszenieren ihre Geschichte im Wettbewerb touristischer Attraktionen und die breite Öffentlichkeit zahlt für ein Fenster in die Vergangenheit, das Unterhaltung end Erlebnis, Wissen und Identität verspricht, vor allem aber den Blick in eine andere als die alltägliche Welt freigibt. »

 

« Geschichtsinszenierungen verlassen aber auch die geschlossenen Räume des Museums und die Fläche von Bildschirm und Leinwand und breiten sich an Orten, Städten und Landschaften aus, die als historische Bühne begangen oder aufwendig bespielt werden. »

 

Dans son intervention intitulée « Inventaire des concepts clés de la nouvelle muséographie patrimoniale » (1), Philippe Mesnard souligne l’économie qui s’opère entre l’inscription dans le local, le type de visiteurs et le propos du site. Il insiste en effet sur le fait que ce lien fondamental n’existerait pas sans les « touristes », catégorie employée trop souvent de façon réductrice. De même, ce lien s’inscrit également dans le territoire, devenu lui-même site mémoriel. Si les exemples qu’il prend, comme le Musée de l’Holocauste à Washington ou le Mémorial aux Juifs assassinés d’Europe à Berlin, s’inscrivent dans un tissu urbain, nous pouvons appliquer un schéma équivalent en milieu rural, comme c’est le cas de la région d’Austerlitz, où se trouve par ailleurs un exemple type de musée/mémorial, le Mohyla Míru (Monument de la paix), sur le Mont Pratzen.

 

(1) Colloque international « Muséographie des violences en Europe centrale et ex-URSS » Université Paris 4 Sorbonne et EHESS, 23-24 mai 2014

Il existe trois expositions ayant pour sujet la bataille d'Austerlitz sur place : celle du château de Slavkov/Austerlitz, celle qui se trouve derrière le Monument de la Paix sur le Mont Pratzen, ainsi que quelques objets exposés à la Stara Posta, la vieille Poste (que nous n'avons pas visitée).

Or il se trouve que nous avons trouvé porte close au château. L'exposition, qui était présentée comme moderne et très riche, était fermée au public, mais nous l'avions appris quelques jours avant notre départ car nous étions en contact avec la personne qui a réalisé son cahier des charges, ou "livret". L'exposition avait bel et bien vu le jour, mais le cahier des charges ainsi que des droits d'auteurs n'avaient pas toujours été respectés. Une plainte avait été déposée auprès du tribunal et l'exposition fermée. Depuis, nous avons appris que l'exposition avait rouvert ses portes, mais les mêmes problèmes subsistent et une procédure en justice a été lancée.

Lorsque nous nous sommes rendus au château, la seule chose qui nous a été répondu pour justifier la fermeture était que l'exposition "se trouvait désormais" au Mont Pratzen (mais il s'agit en fait d'une autre exposition à part entière).

Nous voyons donc deux logiques s'affronter ici : d'un côté l'exigence d'une rigueur historique, d'une authenticité, et de l'autre la volonté d'ouvrir l'exposition aux touristes malgré quelques inexactitudes ou un respect peu satisfaisant des droits d'auteur.

b_Développement local

Serge Barcellini (1), Préface, in Gérard Bénech et Laurent Loiseau, photographies de Michael Saint Maur Sheil, Champs de bataille de la Grande Guerre. Traces et témoignages, Paris, Flammarion, 2008

 

(1) contrôleur général des Armées, Conseiller du Secrétaire d’État à la Défense et aux Anciens Combattants pour le 90e anniversaire de 1918

Champs de bataille de la Grande Guerre. Traces et témoignages

 

« Champs de bataille de la Grande Guerre marque une étape dans le renouveau de la perception de « notre » guerre de 14-18 et de ses acteurs mémoriels.

C’est d’abord le renouveau des passions. Ces hommes et ces femmes qui par leurs recherches sur le terrain, la création de collections, l’organisation de visites, apportent une dimension émotionnelle à la géographie mémorielle. C’est aussi le renouveau des hommes-mémoires. Alors que les derniers poilus ont quitté notre horizon, les petits-fils et arrières petit-fils enracinent  leur saga familiale dans l’action de leurs ancêtres. C’est encore le renouveau des acteurs publics. La France des territoires est devenue le principal aménageur de l’espace mémoriel. Musées, expositions, sentiers de mémoire, sauvegarde des monuments sont le passage obligé du tourisme de mémoire, voulu et pensé par les collectivités territoriales. C’est enfin le renouveau de la mondialisation. Hier, la France était le champ de bataille du monde. Aujourd’hui, elle est un espace de mémoire partagé entre les nations qui furent les acteurs de cette guerre.

Gérard Bénech et Laurent Loiseau nous livrent le grand livre du renouveau mémoriel de la Grande Guerre. Celui de la confrontation entre le temps présent et l’histoire. »

a_Traces
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